5 Allée Antonio Machado
31100 Toulouse
France
Ce colloque veut tout à la fois faire un état des lieux d’un domaine de recherche en plein essor et initier un réseau européen de recherche sur l’histoire de la sexologie. On donnera une acception large à ce terme (discours savants sur la sexualité humaine) et on adoptera une vaste perspective, remontant au XIXe siècle (où apparaissent l’hygiène conjugale et la psychopathologie sexuelle) pour aller jusqu’au début des années 1970 (où des cursus universitaires sont mis en place afin de professionnaliser et contrôler la discipline).
L’historiographie de ce savoir, qui remonte tout comme celle de la de la sexualité aux années 1970 et 1980, connait un renouvellement sous l’influence notamment de l’histoire sociale et féministe des sciences qui conduit à moins privilégier l’étude des paradigmes et des énoncés scientifiques pour s’attacher à une histoire sociale et matérielle des savants et des pratiques scientifiques (D. Pestre, M. Puig de la Bellacasa).
Malgré l’essor des travaux historiques, le panorama de la sexologie sur deux siècles reste marqué par deux déséquilibres. Le premier concerne l’inégal développement de l’historiographie entre le nord et le sud de l’Europe. À titre d’exemple, si les noms des grands sexologues germanophones ou anglophones sont connus et disposent en général de biographies, (Richard von Krafft-Ebing, Magnus Hirschfeld, Albert Moll, Havelock Ellis, Edward Carpenter, Norman Haire etc.) leurs homologues français, belges, portugais, espagnols, suisses, italiens restent encore largement dans l’ombre, même les plus grands d’entre eux (Valentin Magnan, Pasquale Penta, Gregorio Marañon, Egas Moniz), pour ne rien dire de la foule des experts moins connus. Pourtant les pays du sud de l’Europe ont contribué tout autant que ceux du nord à la production du savoir scientifique sur la sexualité. Cette différence de focale, lié essentiellement au développement inégal de l’historiographie, conduit à négliger ou minorer des spécificités dont l’évaluation précise reste d’ailleurs à faire. Le facteur religieux en est un. L’Eglise catholique, continument hostile à la contraception, l’avortement, le divorce et les formes négatives de l’eugénisme (stérilisation, euthanasie), offre un contexte important. Des sexologies catholiques ont existé un peu partout pour promouvoir le mariage chrétien tandis que les milieux laïcs porteurs de rupture se sont montrés, en opposition, très radicaux. Les pays du sud de l’Europe se situent également dans l’aire d’influence des codes civil et pénal napoléoniens ayant aboli les « péchés contre nature » (dont la sodomie) qui survivent ailleurs sous des formes modernisés. Le modèle réglementariste de la prostitution a également été beaucoup plus suivi au sud de l’Europe qu’au nord. Plus généralement, on observe des transferts culturels (traductions, réseaux de chercheurs, voyages de formation) entre ces pays, sans doute au moins aussi importants que les apports venus d’Allemagne, du Royaume-Uni ou des pays scandinaves (pionniers en matière d’éducation sexuelle). On pourra ainsi se demander s’il existe des sexologies latines ou du moins si les contextes nationaux des pays du Sud de l’Europe infléchissent les discours ou les pratiques des sexologues.
Le deuxième déséquilibre concerne la moindre attention portée aux femmes que ce soit en tant qu’objet ou sujet du savoir. Les historiens ont de fait redoublé la forte inégalité présente dès les origines de la sexologie : la plupart des sexologues, jusqu’à une période très récente, sont des hommes et la grande majorité des cas cliniques qu’ils rapportent concernent des hommes. De la même façon, les historiens se sont attachés à retracer les savoirs scientifiques sur les troubles sexuels (l’impuissance) ou les perversions sexuelles masculines, laissant beaucoup plus au second plan les troubles, pathologies ou cas féminins. L’attention portée à la virilité, l’a aussi emportée sur les notions de féminité mobilisés dans ces savoirs. Le présent colloque invite, dans une démarche compensatrice assumée, à mettre en avant le discours sexologique sur les femmes et le féminin, les figures féminines de la sexologie ou les critiques féministes que la discipline a connu à différentes périodes. Plus globalement, la sexologie a produit des normes sexuelles androcentrées que la discipline historique n’a que peu déconstruit. Ce savoir situé, produit par des hommes, le plus souvent des bourgeois européens progressistes, intègre jusque dans le détail de ses représentations ou pratiques, un point de vue masculin qu’il convient de décrypter avec attention. En reprenant la formule de Nelly Oudshoorn, à l’issue de sa passionnante enquête sur l’endocrinologie hollandaise « scientists are actively constructing reality, rather than discovering reality (Oudshoorn, p.4) » on pourra se demander comment les sexologues ont construit les différences sexuelles et ont produit la sexualité féminine.
Ce sont donc ces deux écarts historiographiques que se propose de travailler ce colloque sans aucune visée exhaustive. Il entend montrer la variété des recherches en cours qui intègrent ces deux préoccupations, si les perspectives historiques sont importantes, l’ensemble des sciences sociales sont invitées à la cette réflexion collective. Ce colloque sera aussi une première étape dans la constitution d’un réseau européen de recherche dont les objectifs peuvent être énoncés comme suit :
- Constituer un réseau de recherche pérenne d’études sur la sexologie
- Promouvoir les jeunes chercheur.e.s en histoire des sexualités et du genre
- Elargir les connaissances à l’ensemble de l’Europe et particulièrement à son sud
- Favoriser les comparaisons entre des contextes nationaux différents
- Etudier les voies transnationales de circulation des idées et des chercheur.e.s à l’échelle de l’Europe